jeudi 8 septembre 2011

Une presse prisonnière de son droit

5 juillet 2011 | A la tribune de Ferloo

Un kiosque à journaux à Dakar
« Une presse prisonnière de son droit »
Avec une alternance démocratique réussie le 19 mars 2000, notre pays avait réussi à se hisser dans le petit cercle africain de pays calmes et démocratiques, même si aujourd’hui cette renommée lui est contestée avec l’élection présidentielle du 25 février 2007 dont la fin du processus a été un véritable fiasco. Ajoutez à cela, le boycott des élections législatives de 2009, dont on ne peut se targuer.

Cet acquis dont la nostalgie commence à s’installer, n’a été possible que grâce à la conscience démocratique de ses gouvernants mais aussi d’une population naturellement éprise de paix et de justice, imprégnant ses valeurs à une presse multiple et vivace qui joue sans discontinuité son rôle de contrôle, de contre-pouvoir, bref de sentinelle de la démocratie, dans un parfait professionnalisme et le respect de l’éthique et de la déontologie.
Mais cette médaille n’est pas sans revers, qui s’exprime sous la forme d’un bouillonnement médiatique, faisant même parler d’une presse partisane ou à scandale. C’est ainsi qu’au moment ou certains organes naissent, d’autres font leurs tristes adieux, par le moyen de sanctions d’infraction comme l’injure, la diffamation, diffusion de fausses nouvelles, violation de la vie privée, etc. suscitant dès lors chez toute personne soucieuse de la bonne marche de notre démocratie et de la protection des libertés publiques et particulièrement de la liberté d’expression, le reflexe de s’interroger sur la pertinence de certaines dispositions du droit de la presse sénégalaise
A ce propos, le Sénégal à l’instar de bon nombre de pays africains, s’est inspiré de la vielle loi française du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et sur d’autres instruments internationaux comme la charte africaine des droits de l’Homme ou la Déclaration de Munich de 1971.
Dans le souci de consolider cette garantie constitutionnelle consacrée à l’article 10 de notre charte fondamentale, qu’était intervenue la loi 96-04 du 22 février 1996 relative aux organes de communication sociale et aux professions de journalistes et de techniciens de la communication.
Au regard des dispositions de cette loi, on constate qu’un véritable problème d’effectivité dans l’application du droit des medias se pose et il n’est point nécessaire d’être juriste, sociologue des media ou acteur du monde de la communication pour se convaincre de ses nombreux déboires. En effet, du fait de ses références à une loi française vétuste et obsolète qui comporte beaucoup d’aspects répressifs conférant aux journalistes plus de devoirs que de droits, cette législation se révèle contraignante et dépassée par l’évolution du monde.
C’est peut-être, la raison principale qui explique que les délits de presse soient sévèrement sanctionnés. Il s’agit principalement des délits de presse portant atteinte à la chose publique et ceux qui concernent les particuliers ; pour les premiers, il s’agit de l’offense au chef de l’Etat prévue par l’article 254 du code pénal qui ne donne aucune définition précise de l’infraction précitée et les journalistes maliens, du fait de la communauté d’héritage juridique, en ont fait les frais il y a quelques années, avec l’affaire dite de « la maîtresse du président », ce qui confirme qu’en Afrique pour une affaire anodine, un journaliste peut se retrouver devant le Temple de Thémis et finalement atterrir en prison.
Le droit tend le même piège aux professionnels de la communication dans la diffusion de fausses nouvelles prévue à l’article 155 du code pénal qui renferme les mêmes imprécisions pouvant constituer un sérieux recul pour le journalisme d’investigation.
Pour les délits de presse portant atteinte aux particuliers, citons tout simplement la diffamation, dont les condamnations sont plus spectaculaires avec le renversement de la charge de la preuve qui n’est guère libre, au regard des dispositions de l’article 414 du code de procédure pénale institué par la loi 65-61 du 21 juillet 1965 qui en pose le principe de la liberté.
Cette remarque, du point de vue législatif, est doublée de nombreuses crises que connaît actuellement le Sénégal avec l’augmentation des prix des denrées de première nécessité qui a fini d’asphyxier les populations, sans oublier les problèmes d’éducation, de mobilité, de santé, de sécurité, de salubrité, le pillage des ressources publiques, ensemble de problèmes qui ont largement contribué à la réussite des manifestations du 23 juin 2011 mais aussi des émeutes dites de l’électricité. Etant républicain, on ne peut qu’être ébaubi face à la banalisation et au piétinement de nos institutions sans oublier les nombreuses tentatives de monarchisation. Ce qui du reste, n’est pas souhaitable pour un pays longtemps considéré comme une vitrine de la démocratie et de la stabilité en Afrique de l’Ouest.
Sous ce rapport, il y a de quoi s’alarmer face au retard d’un nouveau code de la presse plus souple et plus promoteur de la liberté d’expression et de l’entreprise de presse, dans la prise en compte de l’évolution des Technologie de l’Information et de la Communication. Si l’on sait que ces media sont aujourd’hui l’unique voix d’un peuple complètement perdu dans la pauvreté et la misère, ceci dans un contexte marqué par un manque de confiance en une opposition vieillissante, en carence d’inspiration et de courage politique.
Sans avoir la prétention d’être exhaustif, on pourrait se demander si l’arsenal législatif sénégalais dans le domaine de la presse ne constituerait pas une véritable menace pour la profession de journaliste.
En effet, ce sont entre autres les sanctions pénales et la violation flagrante des principes fondamentaux de la procédure pénale qui ont poussé certains acteurs à souhaiter l’orientation vers la dépénalisation des délits de presse qui apparaît comme une nécessité à la survie des entreprises de presse à la seule et unique condition que cette dépénalisation ne rime avec l’impunité synonyme d’injustice.
Pathé BA
Conseiller Juridique, Chercheur en Science Politique
Email : pathebateps@yahoo.fr

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